Ce préambule est un des plus compliqués que j’aie eu à rédiger jusqu’à présent ici. En effet, cet article fait référence à divers autres, ainsi qu’à quelques notions rarement évoquées dans ce blog. Je vous demande donc de faire preuve de la plus grande indulgence en lisant ce qui suit …
Le présent billet fait, naturellement, référence à celui-ci — chronologiquement, celui qui le précéde dans ce blog. Il fait aussi référence, de façon importante, à cet autre et, vers la fin, à ceux-ci : a et b.
Idéalement, pour les notations mais aussi pour certains concepts, il serait judicieux que vous jetiez un coup d’œil attentif à chacun de ces articles car je ne vais guère pouvoir rappeler ici les notations ni les définitions ni les résultats que je vais utiliser.
Le but que je poursuis ici est d’interpréter dans le cadre de la géométrie de la droite projective réelle certaines propriétés des courbes régulières d’un espace affine euclidien orienté de dimension deux et, plus particulièrement, la courbure de celles-ci.
Ayant choisi un repère orthonormé positif du plan où se déploient ces courbes, nous sommes ramenés à
muni de la structure standard d’espace euclidien orienté. C’est dans cet espace que nous évoluerons ci-dessous.
La cohomologie de de Rham de la droite projective réelle
Considérons la
-forme
de
définie par

(Pour rappel,
n’étant pas nul, c’est une base de l’espace tangent en
à
.) C’est une forme volume de
car elle est sans zéros. Ainsi que je l’ai signalé dans un des articles mentionnés plus haut, les expressions locales de
dans les cartes canoniques
sont

Par conséquent, celles de
sont

Vu que
est réduit à un point, nous en déduisons que

La forme
n’est donc pas exacte(*) et sa classe de cohomologie est une base du premier espace de cohomologie de de Rham de
(**).
Cela noté, dans le premier billet mentionné au début de ce texte, nous avions associé à chaque courbe régulière
de
une courbe
de
en posant

et nous avions établi cette formule :
, où
est la courbure algébrique de la courbe
. Elle équivaut à celle-ci que je trouve particulièrement jolie :
(1) 
« La fonction angle n’existe pas sur la droite projective réelle »
Considérons une droite
et un de ses vecteurs directeurs
. Le nombre
est ce qu’on appelle souvent le coefficient angulaire de
et, si
est une détermination(***) de l’angle orienté entre « l’axe des
» et
, alors
. Nous choisirons la détermination appartenant à
et nous la noterons
. Cela nous donne une fonction
. Avec une interprétation similaire, la seconde carte canonique de
nous donne une fonction
. Elle prend également ses valeurs dans
.
Les fonctions
sont des primitives de
. Plus précisément,

Cela résulte immédiatement des expressions locales de
dans les cartes canoniques que nous avons explicitées plus haut.
Soit une courbe régulière
de
rapportée à une abscisse curviligne. Si
et si
, alors

Cela dit,
Il n’existe pas de fonction
telle que, pour toute courbe régulière
de
rapportée à une abscisse curviligne on ait
.
Supposons au contraire qu’une telle fonction
existe et prenons pour
le cercle trigonométrique, i.e. la courbe
. La courbure algébrique de celle-ci est constante et vaut
. On a alors

Comme
n’a donc aucun zéros et comme
, nous déduisons de cela que
, une contradiction.
La propriété que nous venons de démontrer contraste avec la propriété classique de la courbure selon laquelle, pour toute courbe
rapportée à une abscisse curviligne et tout
,
admet une primitive
telle que, pour tout
,
soit une détermination de l’angle orienté entre
et la tangente unitaire
de
en
.
Retour sur la frontière des épaissis d’un convexe
Ici, je vous réfère aux billets notés a et b dans le préambule.
J’y avais démontré que, pour
, la courbure
de la frontière du
-épaissi
d’un convexe
s’exprime au moyen de la courbure
de la frontière de
par la formule

Voici une preuve de cette formule résultant de (1).
Pour rappel, la frontière du
-épaissi d’un convexe
dont la frontière est une courbe régulière
dont la normale principale
pointe vers l’extérieur de
est la courbe
donnée par
. Pour simplifier les notations, j’indicerai par
les grandeurs relatives à
. On a

En particulier,
et, vu (1),
.
La formule annoncée résulte alors du fait que
, ce qui implique que
et
.
Courbure et rayon de courbure : deux avatars d’un même objet
Cette dernière section est une ébauche. Je n’ai pas encore toutes les clés du phénomène que je vais y décrire.
Le rayon de courbure
et la de courbure
d’une courbe
sont liés par la relation
. Ce sont donc les coordonnées dans les deux cartes canoniques d’un élément de
, à savoir

D’une certaine façon,
rend mieux compte de ce qu’il se passe que
et
car lorsque l’un d’eux est nul l’autre n’existe pas ou « est infini », ce que le passage au projectif prend bien en charge.
Introduisons une fonction
en posant
. Il vient alors, pour toute courbe
rapportée à une abscisse curviligne,

Dans les conditions de la section précédente la fonction
est une solution de l’équation différentielle
. Or il se fait que l’expression locale dans la carte
du champ de vecteurs

de
(voir la seconde référence citée dans le préambule pour la définition des champs de vecteurs de la forme
) est
. Cela nous montre que la courbe
est une courbe intégrale de
.
Ce fait étrange est lié à une propriété des épaissis des convexes, établie dans l’article désigné par a ci-dessus : pour tous
, on a
.
__________
(*) Notez que, à cause de la dimension de
, ses
-formes sont fermées.
(**) La droite projective
étant de dimension
, sa cohomologie de de Rham (à coefficients réels) se réduit à deux termes :

Il se fait que
est de dimension
(l’autre terme aussi, mais c’est trivial — peu importe).
(***) L’angle orienté entre deux droites est la classe modulo
de l’angle orienté entre un vecteur directeur de la première et un vecteur directeur de la seconde.