Considérons un plan affine dirigé par le plan vectoriel
et un triangle
de
.
Le choix d’un produit scalaire sur
dote le triangle
d’attributs métriques. De façon non exhaustive : des bissectrices, des hauteurs, des cercles circonscrit, inscrit et exinscrits, des longueurs pour ses côtés, des mesures pour ses angles, etc.
Dans ce billet, on se propose de déterminer le lieu de l’orthocentre de obtenu en laissant
décrire l’ensemble des produits scalaires de
(*).
Un énoncé …
Nous allons montrer que ce lieu, dont voici un aperçu :
est constitué de trois parties.
- L’ensemble des trois sommets du triangle
- L’intérieur du triangle
- L’union des intérieurs des trois angles opposés par le sommet aux angles du triangle
Ce sont naturellement les points du lieu correspondant aux produits scalaires pour lesquels est un triangle rectangle. Ils sont les seuls points du lieu appartenant aux côtés du triangle.
Cette partie est le lieu de l’orthocentre de correspondant aux produits scalaires pour lesquels il est acutangle.
C’est le lieu de l’orthocentre de correspondant aux produits scalaires pour lesquels il a un angle obtus (et qui est alors l’angle opposé à celui dans lequel se trouve l’orthocentre).
Pour formuler cette description de façon analytique, nous allons utiliser des coordonnées barycentriques relatives à . Choisissons, arbitrairement, un ordre pour ses sommets que nous nommerons
,
et
. Tout point
du plan
s’écrit alors de façon unique sous la forme d’une combinaison affine
(pour rappel, la somme des nombres vaut
). Les nombres
sont les coordonnées barycentriques de
par rapport au triangle
.
Naturellement, les coordonnées barycentriques de sont, dans l’ordre
et les côtés du triangle ont pour équations
pour
, etc.
La figure suivante donne les signes des coordonnées barycentriques de en fonction de sa position dans le complémentaire des côtés du triangle. Par exemple, «
» indique que dans la région concernée,
est négatif et
sont positifs.
Nous pouvons donc énoncer :
(1) Il existe un produit scalaire de
pour lequel un point de
est un orthocentre du triangle
si, et seulement si, soit ce point est un sommet du triangle soit le produit de ses coordonnées barycentriques par rapport à ce triangle (pour un ordre arbitraire des sommets de celui-ci) est strictement positif.
… et une de ses preuves
Notons
un produit scalaire de
et
la matrice symétrique définie positive qui le représente dans la base de
.
Cela signifie que si et
sont respectivement les composantes de
et
dans la base en question, alors
(2)
D’autre part, pour qu’une matrice de la forme ci-dessus soit définie positive, il est nécessaire et suffisant que .
Ceci étant rappelé, avec les notations que nous venons d’introduire,
Les coordonnées barycentriques de l’orthocentre du triangle
dans l’espace euclidien
sont
(3)
En effet, la somme des nombres vaut
. Ils sont donc les coordonnées barycentriques d’un point de
par rapport à
. C’est le point
de coordonnées
dans le repère de
. A l’aide de la formule (2), il est alors immédiat de vérifier que
Ainsi, est l’orthocentre du triangle
pour le produit scalaire
.
Soient un produit scalaire
de
et
l’orthocentre qu’il donne au triangle
. D’après
dont nous conservons les notations, les coordonnées barycentriques de
sont données par (3). Visiblement, leur produit est positif ou nul. Il est nul si, et seulement si,
ou
ou
c’est à dire lorsque
est un des sommets du triangle. Ainsi, soit
est un sommet de
soit le produit de ses coordonnées barycentriques par rapport à
est strictement positif.
Il est clair que les sommets de
sont des orthocentres potentiels. De toutes façons, il est immédiat de trouver pour chaque sommet des produits scalaires pour lesquels le triangle est rectangle en celui-ci. Par exemple, avec les notations de
, le triangle est rectangle en
ou
selon que
est le produit scalaire pour lequel
,
ou
. Soit alors un point
de
dont le produit des coordonnées barycentriques
par rapport à
est strictement positif. Nous allons voir qu’il existe des nombres
vérifiant
et tels que
et donc que est un orthocentre de
.
Les relations ci-dessus impliquent en effet que
Les coordonnées étant homogènes de poids nul en
et
, ces derniers ne sont définis qu’à un multiple près (conformément au fait que les coordonnées barycentriques de l’orthocentre sont invariantes par similitude). Les valeurs de
et
ci-dessus conviennent donc à condition de pouvoir choisir
pour que
vérifient les inégalités
et
. La condition
détermine le signe de
, qui ne peut être nul(**). D’autre part, avec les valeurs de
et de
ci-dessus, on a
L’énoncé (1) est ainsi démontré.
__________
(*) Ce qui suit est fortement inspiré du huitième chapitre de mon livre Le mathématicien et ses esclaves publié en 2009 aux Presses Universitaires Liégeoises dans la collection Si les mathématiques m’étaient contées.
(**) Le nombre n’est pas nuls car
. De fait, si
est nul alors
, ce qui implique
et, donc,
.