Dans ce billet, je vais présenter quelques propriétés de l’ensemble
où est un entier au moins égal à 2.
Variété différentielle
Cet ensemble est une variété de classe plongée dans
— une hypersurface. Elle admet en effet l’équation cartésienne globale
où
De fait, est l’ensemble des zéros de
et le gradient de ce dernier ne s’annule nulle part puisque(*)
lorsque .
En particulier, si ,
de sorte que
(1) La variété affine
tangente à
en
est l’hyperplan d’équation cartésienne
La variété est connexe. En effet, l’application
est un homéomorphisme de , qui est connexe, sur
, qui l’est donc aussi(**).
Un difféomorphisme
Notons l’hyperplan de
d’équation cartésienne
.
Il se fait que
1) Chaque droite perpendiculaire à
coupe
en exactement un point.
2) La restriction àde la projection orthogonale de
sur
est un difféomorphisme.
Nous noterons la restriction à
de la projection orthogonale de
sur
.
Cela étant, prouvons 1). Soit une droite perpendiculaire à
. Si
est un de ses points, alors
car est orthogonal à
.
— Afin de voir que rencontre
, prenons pour
le point d’intersection de
et de
et notons
l’application polynômiale
Puisque , la plus petite composante de
, disons
, est inférieure ou égale à
. On a
et la limite de
en
est
. En vertu du théorème des valeurs intermédiaires, il existe donc
tel que
. Comme
est la plus petite composante de
, les nombres
, sont strictement positifs. Ainsi
— On va ensuite vérifier, par l’absurde, que ne rencontre
qu’en un seul point. Pour cela, nous prenons pour
l’élément de
le plus proche de
. Vu ce choix, les composantes d’un second élément de cette intersection sont de la forme
où
est strictement positif. Leur produit vaut 1, ce qui donne
(2)
où
Comme , ces ceofficients sont strictement positifs et
. Vu (2), cette dernière égalité implique que
C’est absurde car tous les termes du membre de gauche de cette relation sont strictement positifs.
Voici alors une preuve de 2).
On va vérifier que est un difféomorphisme en montrant que c’est une bijection de classe
dont la différentielle est partout non singulière.
— L’application est injective. En effet, vu 1), les perpendiculaires à
menées par des points distincts
de
sont disjointes (elles sont parallèles et disjointes). En particulier, leurs intersections avec
,
et
, sont distinctes. Vu 1) de nouveau, elle est aussi surjective. C’est donc une bijection.
— L’application est la composée
de la projection orthogonale
de
sur
et du plongement
de
dans
. Ces deux fonctions sont de classe
. La première parce que c’est une application affine et la seconde en raison du fait que
est une variété plongée de classe
de
.
— L’application linéaire tangente de en un point
est
.
D’une part, l’application est l’application linéaire
associée à l’application affine
(***). En l’occurrence c’est la projection orthogonale de
sur
(qui est son propre espace vectoriel directeur puisqu’il contient
). En particulier, le noyau de
est la droite d’équations
.
D’autre part, est une bijection de l’espace tangent de
en
sur l’espace vectoriel directeur de la variété affine tangente à
en
. Vu (1), il s’agit du sous-espace vectoriel de
d’équation
On a donc . Ceci montre que
est injectif mais comme les dimensionns de
et
sont égales, il est dès lors bijectif, ce qui achève la preuve de 2).
Un convexe
Nous allons montrer, de deux façons différentes, que
est convexe. Nous verrons d’abord que c’est une intersection de convexes puis nous verrons qu’il est l’image par une bijection linéaire de sur
de l’épigraphe d’une fonction de classe
strictement convexe
.
Dans les deux cas, nous utiliserons l’inégalité suivante
Si les nombres réels
sont strictement positifs et si leur produit vaut 1, alors leur somme est plus grande ou égale à
et elle vaut
si, et seulement si, ces nombres sont tous égaux à 1.
Elle résulte immédiatement de l’inégalité entre les moyennes géométrique et arithmétique
et du fait que, dans celle-ci, l’égalité est réalisée si, et seulement si, les sont égaux.
Pour tout , notons
le demi-espace fermé de
délimité par
et contenant
, où
.
L’hyperplan délimite deux demi-espaces fermés. Vu (1), il s’agit de l’ensemble des solutions de l’inéquation
(3)
et celui des solutions de
Le premier contient . C’est donc
.
On a
(4)
Montrons d’abord que si et
, alors
. Puisque
appartient à
, il appartient à
et
. D’après (
), on a alors
En effet, le produit des nombres positifs vaut 1. En multipliant les deux membres de cette inégalité par
, on voit que
puisque
.
Ensuite, vérifions qu’un point de
appartenant à chaque
, appartient à
. Avec de nouveau
,
. Puisque
, il vérifie l’inégalité (3), ce qui donne
. Dès lors
et
. L’égalité (4) est ainsi établie.
Elle montre que est convexe car
et les
, sont convexes. Il est même strictement convexe en ce sens que chaque hyperplan d’appui
, ne le rencontre qu’en
. En effet si
alors
D’après l’inégalité entre les moyennnes arithmétique et géométrique, le produit des nombres , qui vaut
, ne dépasse pas 1. Or il vaut au moins 1 puisque
. Il est donc égal à 1. Vu (
), les
sont égaux à 1 et
.
Un convexe (suite)
Je vais à présent donner la seconde preuve de la convexité de annoncée au début de la section précédente.
— La fonction Soit un point
de
. Par définition de
, le point
appartient à la perpendiculaire à
menée par
. Il existe donc un nombre
, et un seul, tel que
. Nous le noterons
, introduisant ainsi une fonction
qui, tout comme
, est de classe
. Nous désignerons ci-dessous par
et
le graphe et l’épigraphe de
. Le graphe de
est, bien entendu, une variété différentielle plongée dans
.
— L’épigraphe de Nous allons voir que la restriction de la bijection linéaire
à l’épigraphe de est une bijection entre celui-ci et
.
Montrons d’abord que . Soit
. On a
où et
. Par suite
ce qui montre que appartient à
.
Vérifions ensuite que est surjectif. Soit
. Nous allons voir que
, ce qui suffit pour conclure. Posons
. On a
et les sont strictement positifs. Par conséquent, $layex s\geqsalnt 0$ et
comme annoncé.
Notons que est aussi une bijection, de
sur
. Il est facile de voir que c’est un difféomorphisme entre ces deux variétés.
— Convexité stricte de La fonction
est strictement convexe c’est-à-dire que tout segment de droite délimité par deux points distincts de son graphe est entièrement contenu dans son épigraphe et ne rencontre son graphe qu’en ces points. C’est une façon géométrique de formuler l’inégalité stricte de Jensen. En formules, cela donne : si
et si
sont distincts, alors
Mais puisque est linéaire,
est une bijection et
, ceci est équivalent à : tout segment de droite délimité par deux points de
est entièrement contenu dans
et ne rencontre
qu’en ces points. Soit en formules : si
et si
sont distincts, alors
(5)
Démonstration Nous allons à présent vérifier que est strictement convexe en utilisant cette dernière caractérisation. Supposons que
et que
. On a
Bien entendu, et nous montrerons plus bas que, pour
,
, l’égalité ayant lieu si, et seulement si,
. Comme les nombres
sont strictement positifs, on a donc
l’égalité ayant lieu si, et seulement si, . L’inégalité (5) est donc démontrée, sous l’hypothèse que
.
Démonstration (suite) Nous allons prouver ici nos allégations relatives aux coefficients . Nous supposons d’emblée que
car il est évident, comme nous l’avons laissé entendre, que
.
Le coefficient s’obtient en choisissant de toutes les façons possibles le terme en
dans
facteurs du membre de gauche de l’inégalité (5) et le terme en
dans les autres facteurs. Donc
où la somme porte sur les couples formés d’un ensemble à éléments
et de son complémentaire
. Comme
,
de sorte que
Par suite,
Le produit des nombres
vaut 1. En effet, chaque nombre
figure exactement dans
sous-ensembles à éléments de
. Par conséquent,
Vu (), on a donc
, l’égalité ayant lieu si, et seulement si, les
sont égaux à 1.
Pour conclure, il nous reste donc à montrer que les sont égaux à 1, alors
, la réciproque étant évidente.
Supposons donc que les sont égaux à 1. Soient
et
l’ensemble des
contenant
. Comme on l’a observé plus haut, il y en a
. De plus, chaque nombre
figure dans exactement
éléments de
puisque
si, et seulement si,
est un sous-ensemble à
éléments de
. Par conséquent,
puisque . Dès lors
pour tout
:
.
Conclusion Puisque la fonction est strictement convexe, son épigraphe est convexe et, dès lors,
l’est aussi.
Un convexe (suite)
Il y a en fait une troisième façon de prouver que est convexe. Elle vient assez facilement à l’esprit et est plus expéditive que les précédentes. Mais, contrairement à celles-ci, qui sont fort instructives, elle ne révèle pas grand chose de la géométrie de
. En plus, elle ne respecte pas du tout l’invariance de
et
sous l’action du groupe des permutations
. Je n’en raffole pas, vous l’aurez compris, mais je la propose quand même, pour être complet. Cela dit, elle ferait sans doute l’objet un bon exercice pour les étudiants des premières années d’étude en sciences mathématiques.
La fonction
est convexe. En effet, un calcul facile montre qu’en chaque point de
, sa matrice hessienne
vérifie
Elle est donc semi-défini positive.
Par ailleurs, et
sont respectivement le graphe et l’épigraphe de
. En particulier,
est convexe.
__________
(*) Pour alléger l’écriture, nous désignerons par la dérivée partielle d’une fonction
par rapport à sa
-ème variable calculée en
.
(**) En fait cette application est un paramétrage de . Les
sont connexes car ils sont convexes puisque ce sont des intersections de demi-espaces.
(***) Si est une application affine, alors il existe une, et une seule, application linéaire
, où
et
sont les espaces vectoriels directeurs de
et de
, vérifiant
Lorsque et
sont de dimensions finies, alors
est de classe
et son application linéaire tangente est partout égale à
.