En tondant la pelouse de mon jardin, j’observe un phénomène que je me suis enfin décidé à expliquer mathématiquement. Il s’agit de ceci. Les traces des roues de la tondeuse ont l’aspect de courbes et celles qui voisinent la bordure d’un parterre convexe ont une courbure qui s’atténue à mesure qu’on s’éloigne de la bordure.
C’est une question posée sur M@TH en Ligne à propos des épaissis d’une parabole pleine qui m’a incité à étudier le problème. J’ai parlé pour la première fois dans ce blog du -épaissis d’une partie
d’un espace euclidien (de dimension finie)
ici. Pour rappel, il s’agit de l’ensemble
des points de
qui se trouvent à une distance au plus
de
(on suppose que
est positif ou nul). Vous trouverez dans l’article en question un exemple d’épaissi, celui d’un pentagone d’un pan.
Le rapport avec la tonte de la pelouse est le suivant : j’estime que les traces des roues au voisinage d’un parterre convexe sont assimilables aux frontières d’épaissis du parterre correspondant à des valeurs de qui sont des multiples de plus en plus grands de la largeur de la tondeuse. Le phénomène observé s’explique alors par le fait qu’en épaississant un convexe d’un plan, on diminue la courbure de sa frontière du moins si celle-ci est assez régulière ce qui est le cas de la frontière du parterre de mon jardin auquel je pense. Je prouverai cela mais, avant, je vais faire quelques petites observations à propos des épaissis. Elles sont sans doute bien connues mais je n’ai pas de références auxquelles vous renvoyer à leur propos.
(a) Pour tout et tout
, le
-épaissi de
est égal à celui de son adhérence.
C’est évident. Notez, au passage, ce qui est clair également, que est l’adhérence de
.
(b) Pour tout ,
est fermé.
En effet, vu (a), nous pouvons supposer que est fermé. Cela noté, si
adhère à
, il est limite d’une suite
d’éléments de
. Il existe une suite
de points de
tels que
. On a
(1)
En particulier, la suite est bornée. Quitte à la remplacer par une sous-suite, on peut donc supposer qu’elle converge vers un point
. En passant à la limite dans (1), il vient alors
. Ainsi,
appartient à
et (b) est prouvé.
(c) Si est convexe, alors
l’est aussi.
Soient . Comme on peut supposer
fermé, il existe
tels que
et
. D’après le lemme qui suit, les points du segment
sont donc distants de moins de
du segment
. Celui-ci est inclus à
puisque ce dernier est convexe. Par conséquent,
: (c) est établi.
(d) Lemme : Soient des points de
et
. On a
Pour vérifier cela, il suffit de donner un point tel que
. Le point
est de la forme
, où
, et on voit facilement que le point
a cette propriété(*). D’où le lemme.
(e) Si est convexe et
, alors la frontière
de
est
.
Pour vérifier cela, nous supposons à nouveau que est fermé, ce qui n’est pas une restriction. Soit alors un point frontière
de
. Il existe un point
de
tel que
. Le point
est limite d’une suite
de points n’appartenant pas à
. On a donc
pour tout
. En passant à la limite, nous voyons que
. Mais, vu (b),
et
. Au total
.
Nous venons de montrer que . Nous l’avons fait sans utiliser la convexité de
mais nous aurons besoin de cette hypothèse pour établir l’inclusion réciproque. Il y a en effet des ensembles non convexes pour lesquels cette inclusion est fausse. Par exemple, le
-épaissi d’un cercle de rayon
est le disque de même centre et de rayon
. Le centre du cercle est à distance
de celui-ci mais n’est donc pas un point frontière de son
-épaissi.
Allons-y! Soit un point de
à distance
de
. Il n’appartient pas à
car
. Notons
sa projection orthogonale sur
. C’est l’unique point de
qui réalise la distance de
à
. Il est caractérisé par le fait que les angles non orientés entre
et
,
, valent au moins
. En particulier, il est aussi la projection orthogonale de tous les points de la demi-droite
. Les points
sont donc à distance de
. Ils n’appartiennent aucun à
mais ils convergent vers
. Celui-ci est donc un point frontière de
. D’où (e).
(f) Pour tous , on a
.
C’est à peu près évident. Nous supposons à nouveau que est fermé. Soient alors
, un point
de
tel que
et un point
de
tel que
. Il vient
Ainsi, et
. Inversement, supposons que
et notons
un point de
tel que
. Si
, alors
appartient à
, donc à
. Si
, posons
C’est un point de . De plus,
. Par conséquent,
et (f) est prouvé.
Pour des raisons de taille, je termine ici ce billet. Je présenterai ce que je voulais vous dire à propos de la courbure de la frontière des épaissis d’un convexe dans un billet ultérieur.
__________
(*) Par exemple, on note que
où est l’angle non orienté entre les vecteurs
et
(on pose
si l’un des deux est nul). La majoration s’obtient en remplaçant
et
par le plus grand des deux. Pour conclure, on observe que la quantité entre crochets ne dépasse pas
puisque
.
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