Je présente dans ce billet ce que je sais de la fonction introduite dans le billet précédent pour étudier les empilements infinis de radicaux. J’utiliserai ici librement les notations de ce billet. Pour rappel, les suites
et
sont désormais à valeurs strictement positives.
Préambule
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais introduire une famille de fonctions bien utiles. Il s’agit de la suite de fonctions définie par récurrence par
Voici les valeurs des premiers :
Bien que, pour ne pas alourdir l’écriture, le nom de ces fonctions ne fasse pas explicitement référence aux suites et
, elles en dépendent bel et bien. Nous aurons besoin des fonctions relatives aux suites décalées
fois
et
. Nous conviendrons de les désigner par
. Par exemple,
Voici une propriété que nous utiliserons plus bas.
(1)
Elle se démontre par récurrence. Je fais l’induction, le cas de base étant immédiat. En supposant la propriété vraie pour une certaine valeur de
, il vient
Notons au passage une autre propriété où la notation s’avère bien utile. Elle nous donne les dérivées des
et nous montre, si besoin en était, que les fonctions
sont strictement croissantes.
Elle se démontre facilement par récurrence mais je ne le fais pas ici.
Un des intérêts des fonctions réside en ceci : si la suite
est à valeurs positives ou nulles, alors
(2)
Un théorème
Voici le résultat principal de ce billet. J’ai rappelé plus haut que les suites et
sont à valeurs strictement positives mais je le répète dans l’énoncé pour bien mettre en évidence ses hypothèses.
Si les suites
et
sont à valeurs strictement positives, alors
1)
2) La limite
de
est un nombre réel, si, et seulement si, il existe une suite
telle que
soit constant.
3) Si
est un nombre réel et si
, alors il existe une seule suite
telle que les
valent tous
.
Voici ce que je vous propose en guise de preuve.
Considérons une suite et demandons-nous à quelles conditions
est constant. Vu (2),
si, et seulement si,
Mais est injectif. Cela équivaut donc à
et finalement à, puisque
,
La suite est donc complètement déterminée par sa première valeur
.
J’affirme alors que, étant donné , la suite
définie par récurrence par
(3)
est à valeurs positives ou nulles si, et seulement si,
(4)
Montrons d’abord que si (4) est vérifié alors les valeurs de ne sont pas négatives.
Nous allons voir, plus précisément, que si , alors
, ce qui suffit.
Partons de
Vu (1), que nous allons utiliser de façon répétée, on a donc . Par conséquent,
Du coup,
De proche en proche, on vérifie ainsi que pour
, ce que nous voulions établir.
La réciproque, à savoir entraîne
, est très simple : si
, alors
En conclusion, est à valeurs postives ou nulles et
est constant si, et seulement si, (3) et (4) sont vrais. Par conséquent :
–– si converge vers un nombre réel
, alors (4) est vérifié par
car la suite
est strictement croissante vu que
La suite définie par (3) avec
est donc à valeurs positives ou nulles et la suite
est constante.
–– inversement, s’il existe une suite à valeurs positives ou nulles telle que
soit constant, alors (4) est vérifié avec
. Par conséquent,
converge vers un nombre réel
ne dépassant pas
.
Nous venons de prouver (2) et (3). Il nous reste à prouver (1).
Supposons donc que ne converge pas vers un nombre réel et montrons par l’absurde qu’il tend vers
. Comme cette suite est croissante, elle n’est pas bornée. Supposons alors qu’elle ne tende pas vers
. Il existe donc un nombre
qui majore tous les termes d’une de ses sous-suites, que nous noterons
. Comme
n’est pas borné, il existe un entier
tel que
. D'où une contradiction car pour
assez grand,
.
Voilà, le théorème est prouvé!
Ce théorème me semble fournir des arguments sérieux en faveur de la définition de l'empilement que nous avons adoptée dans le billet précédent, du moins pour des suites à valeurs strictement positives — le cas que nous considérons ici, à savoir poser
sous réserve que cette limite existe.
D’abord, le point 1) du résultat nous montre que cette limite existe toujours. Elle peut certes valoir alors qu’on espérerait que
soit un nombre réel mais cela ne me semble pas rédhibitoire.
Ensuite, les points 2) et 3) montrent que si cette limite est un nombre réel , pour chaque
, il y a une suite d’approximations qui converge syntaxiquement vers l’expression
mais dont les évaluations sont égales à
. Le nombre
est le plus petit possible ayant cette propriété et correspond à une suite d’évaluation syntaxiques
raisonnables dont nous avons parlé dans le billet précédent. En raison de cela, s’il faut vraiment élire un de ces nombres au titre de valeur de
, alors il me semble plus que normal de choisir
.
Cet argument est renforcé par l’observation suivante. En notant la suite définie par la récurrence (3) et
la suite constante
, on a
Si
est un nombre réel
et si
converge vers
, alors pour tout nombre réel positif
,
.
Sous les hypothèses de cette observation, on a en particulier , ce qui correspond à l’autre suite d’approximations syntaxiques raisonnables rencontrée dans le billet précédent
(C’est celle qu’on obtient en posant .)
Voici comment justifier l’observation. Supposons que converge vers
. Alors il existe un seuil à partir duquel
. Au-delà de ce seuil, on a donc
D’où la conclusion, par passage à la limite.
L’observation s’applique par exemple à l’empilement
dont j’ai parlé à plusieurs reprises. Pour celui-ci, en effet, et
.
Cela dit, j’ai le sentiment qu’il existe un résultat plus fort que cette observation et que bien d’autres suites que celles de la forme
permettent de calculer l’empilement
. De nombreuses expérimentations informatiques m’en ont convaincu. Mais, pour l’heure, je n’ai encore rien trouvé de significatif.
Un exemple simple et amusant
Nous allons appliquer ce qui précède à l’empilement
Il est défini par les suites constantes et
. Nous supposons bien entendu que
et
sont strictement positifs.
Nous allons voir que est la racine positive de l’équation
, c’est-à-dire que
(5)
Voici comment. Appelons cette racine. Il est facile de vérifier que la suite
définie par (3) est la suite constante
. Ses valeurs sont donc positives. D’après le théorème,
converge vers un nombre réel
. On a alors, vu (1),
Mais, puisque les suites et
sont constantes,
. Donc
En passant à la limite, il vient . Ainsi,
, ce qui achève notre calcul.
Avec notre définition, nous sommes ainsi conduits à écrire
Lorsque , la limite (5) est le nombre d’or. Lorsque
et
, elle vaut
. Cela nous le savions bien, sans peut-être en avoir pleinement pris conscience. En effet, j’ai signalé dans le billet précédent que
😉
Merci pour ce billet avec l’exemple final très éclairant.
L’exemple final se généralise à des suites
et
périodiques de même période,
. Il correspond à
.
car l’équation satisfaite par la valeur de l’empilement est de degré
.
Mais le problème se complique très fort lorsque
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